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Roland Kermarec - Espoirs Démocrates
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Roland Kermarec - Espoirs Démocrates
30 novembre 2008

Paroles d'enseignant

Cela fait un long moment que je n'ai pas pris la plume ici. J'ai pendant quelque temps hésité à écrire un article final sur les Cantonales à propos de la Commission des Comptes qui m'a embarqué dans un feuilleton à épisodes à partir de ce concept de base intéressant : je devais justifier mes dépenses de campagne pour, en quelque sorte, pouvoir ne pas être remboursé, n'ayant pas obtenu 5% des voix. Et il y avait donc, quelque part à Paris, un gars qui a passé un temps considérable à analyser et à éplucher consciencieusement les documents que j'avais pu fournir, qui m'a envoyé des demandes de justificatif, notamment pour que je lui explique par le menu comment j'avais pu recevoir des financements par un parti qui "n'existait pas" au moment des élections (bon, le MoDem n'a pas fait un score phénoménal, mais de là à dire qu'il "n'existait pas"  :-)

What else, démocratement parlant ? Eh bien je fais "officiellement" partie du Conseil Départemental du MoDem pour le Lot-et-Garonne depuis quelques semaines et je tâcherai donc d'apporter mes petites briquettes à la construction départementale du mouvement, en particulier dans le domaine de la culture.

En début 2008, je m'étais également dit que ce serait également une bonne idée d'évoquer quelques événements qui s'étaient produits au sein de mon établissement scolaire, et puis le temps a filé. Mais un "appel d'offres" lancé par le gouvernement courant octobre "m'invite" à me repencher sur ce sujet. Je me disais qu'être démocrate, c'est l'être évidemment quand on prend des décisions politiques au sein d'un collectif comme celui du Conseil Départemental, mais c'est aussi l'être dans sa vie de tous les jours, dans les relations que l'on tisse ici et là, et, en ce qui me concerne, dans ma vision du métier d'enseignant, dans ce que l'on accepte ou pas.

Le gouvernement lance donc une "veille d'opinion" dans le monde enseignant, avec ces objectifs :

Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau

Décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation

Repérer les informations signifiantes (en particulier les signaux faibles) [je ne vais pas me lancer dans une analyse de texte, mais voilà quelque chose qui "m'interpelle", des "signaux faibles" !]

Suivre les informations signifiantes dans le temps

Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions, nombre de commentaires,audience, etc.)

Rapprocher ces informations et les interpréter

Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise

Alerter et préconiser en conséquence

Les informations signifiantes pertinentes sont celles qui préfigurent un débat, un « risque opinion » potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels les ministères se trouveraient impliqués.

Programme intéressant, qui doit s'appliquer aux "sites « commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux, ainsi que sur les appels et pétitions en ligne, et sur les autres formats de diffusion (vidéos, etc.)" Bref, pour faire plus simple, disons à tout les supports internet où un enseignant pourrait avoir le malheur d'écrire un jour.

Puisque je suis un citoyen soucieux des deniers publics, je souhaite faciliter le travail de ces futures veilles. En effet, durant l'année scolaire 2007-2008, mon collège gersois devait "tester" des "livrets de compétence" qui m'ont hérissé le poil une bonne partie de l'année. Le 17 janvier 2008, une bonne partie des inspecteurs de l'Académie de Toulouse venait donc dans notre belle salle du réfectoire pour nous annoncer, en gros, qu'ils ignoraient en quoi consistait ces livrets mais espéraient bien que nous saurions nous en dépatouiller. A cette occasion, j'avais préparé un texte pour préciser ma position à ce sujet, pour éviter de m'embrouiller et surtout d'oublier quoi que ce soit. Voici donc le texte que j'avais rédigé, que j'ai lu et que mes collègues ont applaudi à la fin :

Je vais tout d'abord endosser le costume du prof ronchon avec tous ses clichés, en les assumant plus ou moins. Ce projet auquel nous sommes conviés, pour ne pas dire qu'il nous est imposé, sonne à mes oreilles comme une réforme de plus qui viendrait s'ajouter aux précédentes sans la moindre compensation, sans moyens supplémentaires pour la mettre en oeuvre. Je ne parle pas ici nécessairement de moyens financiers, car si nous avions nous aussi souhaité "travailler plus pour etc.", il y a fort à parier que nous ne serions pas profs. Je fais plutôt référence au luxe suprême à mes yeux, à la plus grande des richesses : le temps. Nous sommes apparemment invités à réaliser ces évaluations en plus de tout le reste, et cette nouvelle pratique vient donc s'entasser sur la pile croissante de nos activités, qui s'éloignent de plus en plus des élèves. J'enseigne le français actuellement notamment à deux classes de 6e, je le fais avec beaucoup de plaisir et je leur consacre beaucoup de temps. J'ai découvert avec bonheur cette année l'art de tenter tant bien que mal, plutôt très mal que bien d'ailleurs, de me dépatouiller d'une paperasserie indigeste pour les bien nommés PPRE. L'idée de me perdre corps et âme dans un dédale de cases à remplir ne me remplit donc pas vraiment d'enthousiasme. Honnêtement, si je me pose la question de savoir si je vais ou non consacrer moins de temps à la préparation de mes cours, à la correction de mes copies pour préparer ces évaluations de compétences, j'ai actuellement tendance à avoir envie de répondre très très rapidement.

Concernant les collègues qui ont débrouissaillé le terrain dans les diverses matières, j'ai une double opinion. Je suis d'abord admiratif et respectueux de la somme de travail qu'ils y ont investie. Sincèrement. Parce que je me sens totalement inapte à réaliser une telle chose, comme s'il s'agissait d'un autre métier que celui que j'exerce. Sincèrement aussi. En tant que collègue, je les en remercie. Mais en tant que personne, je ne crois pas avoir envie de leur dire merci. Parallèlement à mon métier d'enseignant, que la honte retombe sur moi, je tente de me construire une vie sociale, une vie associative, une vie personnelle, et j'en passe. Je ne souhaite pas devenir un prof 24 heures sur 24, et je suis d'ailleurs intimement persuadé qu'on est un mauvais prof si on ne se construit pas différemment à côté. Ces vies se nourrissent les unes les autres, et je sens de plus en plus, année après année, que les multiples tâches que l'on nous impose dans notre vie d'enseignants viennent peu à peu cannibaliser et mettre en péril nos constructions parallèles, et je ne peux pas accepter cela.

Pour montrer que je ne suis pas non plus dans la caricature du prof buté de A à Z sur un nouveau projet, comme par principe, j'admets que, dans le fond, l'application de cette grille de compétences aboutirait dans l'idéal (et j'insiste sur ces termes, dans l'idéal) à davantage d'efficacité, j'en suis même persuadé et je ne remets pas cela en doute un seul instant. Par contre, et c'est peut-être là un sentiment personnel que peu de collègues partagent, je ne sais pas, mais mon enseignement, celui que j'ai bâti année après année en réfléchissant énormément à ce qui marchait ou pas et à mes objectifs profonds, cet enseignement là ne rime pas un seul instant avec le mot "efficacité". La seule idée d'avoir à évaluer mes élèves de manière systématique et quasi tayloriste en leur appliquant des grilles prédéfinies et épouvantablement uniformes me donnerait envie de fuir d'horreur. Je n'ai nulle envie de faire rentrer les élèves que j'essaye de faire "grandir", dans tous les sens du terme, dans des cases rigides et identiques pour tous. Si j'essaye de définir ce que je souhaite véritablement enseigner à mes élèves, et chacun devrait se poser au fond cette question à laquelle je vais apporter un semblant de réponse personnelle qui ne me satisfait que sommairement, si j'essaye donc de définir cela, je pense que mon objectif le plus grand est justement de leur apprendre à sortir des cases où le conformisme les enferme, à ne pas être formaté et donc malléable par les autres. Et par conséquent, quasiment philosophiquement, ce système de compétences et de cases va totalement à l'encontre non seulement de ma pédagogie d'enseignant mais même de ma manière d'être au quotidien.

Enfin, plutôt que de proposer un nouveau système d'évaluation, aussi bon serait-il en soi, ne vaudrait-il pas mieux améliorer d'abord tout ce qu'il y a en amont ? Vous pourrez inventer le système le plus sophistiqué d'évaluation d'une automobile, avec les analyses les plus pointues, les technologies les plus high tech, mais ce n'est pas ce qui ce qui transformera une dodoche ou la récente Tata indienne en Ferrari. Si l'on commençait par des mesures bien plus simples, et sur lesquelles tout le monde s'accorderait, y compris vous-mêmes, en diminuant par exemple les effectifs des classes ne serait-ce que de 4 ou 5 élèves, les progrès viendraient non pas tout seuls, mais se ressentiraient très rapidement, tout le monde le sait, et des mesures aussi simples que celle-ci seraient à mon sens bien plus révolutionnaires, courageuses, efficaces, profitables et humanistes que n'importe quel système de compétences à cases.

Réaction des inspecteurs : l'un d'entre eux a murmuré à son voisin, dès le début de la lecture "on ne répond pas", tandis que la "responsable" a simplement commenté mon texte en disant "vous êtes fonctionnaire". No comment...

Plus tard dans l'année, j'ai rédigé un second papier, à un moment où les collègues s'interrogeaient sur les positions à prendre. Le voici :

LES LIVRETS DE COMPETENCE

(billet d'humeur, en complément de la lettre que j'avais écrite à l'occasion de la venue des IPR dans notre établissement)

Suite à la réunion organisée par les Inspecteurs dans notre établissement, j'ai accepté (en rechignant, certes, mais je l'ai accepté) de faire partie du dispositif de test et de comparaison des deux livrets de compétences destinés aux élèves. J'ai donc participé aux diverses réunions qui visaient à définir les objectifs visés par ces tests, pour définir notamment les compétences transversales à évaluer. Mais aujourd'hui, à un moment où les délais ont pourtant été repoussés pour mener à bien cette "mission", je souhaite m'en écarter et ne pas cautionner une telle entreprise, pour diverses raisons, que voici, et que j'ai mûries pendant plusieurs semaines :

  • Même si nous disposons de quelques semaines supplémentaires pour tester ces livrets, je préfère concentrer mes efforts et mon travail sur la préparation de mes cours et sur l'évaluation de ces cours, en particulier pour mes deux classes de 6e. Je suis déjà englouti suffisamment par un autre dispositif d'une lourdeur administrative rare, les dossiers des PPRE, d'une abyssale inanité, pour souhaiter me plonger dans un nouveau labyrinthe pseudo-éducatif insondable. Un de mes objectifs avec les élèves consiste à leur apprendre à travailler de manière efficace : je souhaite aussi  appliquer cette méthode en ce qui me concerne, et reléguer aux oubliettes tout ce qui n'est pas efficace.
  • Plusieurs collègues estiment, et je partage en grande partie leur avis, que le livret qui serait choisi plus tard l'est en fait déjà de manière effective par le Ministère. Inutile donc de s'y pencher davantage et de se prêter à cette comédie de "pédagogie participative" pleine de démagogie. Je n'ai par ailleurs pas vraiment besoin de comparer très longtemps les deux livrets ni de les "expérimenter" pour voir en quelques minutes lequel est meilleur que l'autre pour ma discipline puisque cela tombe sous le sens en un simple coup d'oeil.
  • Il est malsain selon moi de participer à de tels travaux qui sont, selon de nombreux collègues, un moyen détourné de faire entrer dans les esprits que la polyvalence des enseignants sera quelque chose d'incontournable prochainement (lorsqu'on compare les deux livrets au sujet des disciplines scientifiques notamment).

Raisons encore plus profondes et déterminantes pour moi :

  • le rapport "Pochard" paru récemment introduit subrepticement des mesures qui seront nocives pour notre profession si elles entrent en vigueur. Ce rapport est censé "revaloriser la profession d'enseignant" et continue pourtant de la saper, semaine après semaine. Je ne souhaite pas cautionner de telles pratiques et dire amen à tout ce qui nous est demandé sans manifester la moindre protestation.
  • actuellement, de nombreux lycéens manifestent régulièrement pour les enseignants. Les médias indiquent que les enseignants "soutiennent" ces initiatives. Qu'ils les "soutiennent"... On rêve... Les enseignants doivent-ils soutenir ces manifestations ou les initier, les mener eux-mêmes ? Est-ce à nos lycéens de manifester contre la suppression de 11000 postes de profs, ou est-ce aux profs de le faire de manière plus véhémente ? De mon côté, la réponse est simple : je ne souhaite pas courber l'échine devant chacune des réformes plus ou moins fantaisistes de notre ministère et obéir aveuglément à chacune des injonctions qui nous sont données de travailler sur tel ou tel projet en plus des charges que nous assumons déjà.
  • au niveau du Ministère, des parents d'élèves ou de n'importe quel quidam, les pressions exercées sur les enseignants sont chaque jour plus fortes, que ce soit pour les tâches supplémentaires que nous devons exercer (dossiers de PPRE, dossier pour la note de vie scolaire, tâches grandissantes pour les profs principaux, etc.) ou pour les relations conflictuelles que nous devons gérer de plus en plus souvent. La fragilisation psychologique qui en résulte devient si fréquente sur l'ensemble du territoire (et à commencer par notre établissement ces derniers temps) que les pétages de plomb ou autre début de dépression deviennent monnaie courante et se banalisent, comme faisant partie des risques du métier. Et nous continuerions à accepter toutes les demandes, les unes après les autres, sans broncher, tranquillement, sans jamais protester, en bons petits soldats bien dressés ? Non, merci, sans moi, j'aurais trop honte, je ne souhaite pas ne plus pouvoir me regarder dans la glace le matin...

En conclusion, je me retire de ce "processus d'expérimentation" du livret de compétences. Dans le cas où, comme j'ai cru le comprendre, ces livrets seraient effectifs à la rentrée prochaine, je souhaite également refuser de participer à une telle mascarade. J'espère que je ne serai pas isolé dans ce cas et que la majorité des enseignants refuseront d'être de simples moutons de Panurge qui obéissent au doigt et à l'oeil. Tant que la réponse de nos inspecteurs à la lettre détaillée que j'ai pu leur lire consistera à me dire "Vous êtes un fonctionnaire !" sur un ton méprisant et condescendant (voire "On ne répond pas", comme l'avait murmuré l'un des inspecteurs durant ma lecture), tant que le bon sens ne reviendra pas dans notre ministère en privilégiant avant toute chose la baisse des effectifs d'élèves dans nos classes, tant que de telles mesures ostentatoires et inutiles seront mises en place en dépit du bon sens, dans une simple visée de communication médiatique, je ne m'impliquerai pas dans des "expérimentations" qui contribuent à dégrader notre profession. Même si je suis "fonctionnaire".

Roland Kermarec

A suivre...

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