Respiration rotative

Non non, contrairement à l'épisode monumental d'hier, qui restera dans les annales de mon parcours du combattant, pas de Grand Huit politicien aujourd'hui, aucun Saut de la Mort cantonal, nulle Galerie des Horreurs du candidat. Et heureusement, d'ailleurs, parce que je ne tiendrais pas le rythme, sinon ! Si chaque journée m'apportait un tel lot d'ergoteries et d'arguties, si je déclenchais un esclandre à chacune de mes descentes à la Mairie ou un scandale à chacune de mes interventions dans la presse, je ne pourrais plus quitter mon clavier pour devoir en rendre compte. Retour à un calme olympien, donc, ouf.

Je me sens plus léger, débarrassé de tout un tas de paperasses et procédures administratives. Pas seulement au niveau de ces élections, en fait. En effet, contrairement à certains hommes politiques qui entassent les mandats les uns par dessus les autres à ne plus savoir qu'en faire, la politique n'est pas un métier pour moi, et le cumul des fonctions est même un système auquel je m'oppose catégoriquement. Sombrer dans le cumul des mandats signifie se perdre dans un cercle vicieux où l'on s'éloigne peu à peu des préoccupations quotidiennes des citoyens, où l'on n'est plus en contact étroit avec la vie de tous les jours. Je ne cumule donc pas les mandats, mais un certain nombre de casquettes diverses (et tout le costume qui va avec) : celle de membre du Conseil d'Administration des Montreurs d'Images à Agen qui occupe une bonne partie de mon temps libre, celle de "spécialiste de l'oeuvre du cinéaste David Lynch", celle "d'auteur" qui s'essaye à l'écriture de scénarios ou de chansons, et celle qui me permet de gagner ma vie, puisque je suis enseignant de français (reste une ultime casquette, celle de l'homme qui tente de se construire au mieux une vie personnelle intéressante). Et comme ce sont les vacances, j'avais donc... les derniers paquets de copies de mes élèves à corriger, leurs notes à rentrer sur l'ordinateur avec des appréciations assorties pour les bulletins du 2nd trimestre... Des notes par centaines, des moyennes, des conseils à donner en tentant de ne pas réécrire les mêmes phrases d'un bulletin à l'autre. Passer d'une histoire de commission de propagande à la synthèse d'un trimestre est un peu un grand écart, mais cela a au moins le mérite de montrer que je ne suis pas en campagne "à plein temps", parce que je ne peux pas me le permettre.

Plus léger parce que débarrassé des monceaux de copies et de bulletins qui me guettaient coupablement depuis mon cartable. Plus léger parce que débarrassé depuis ce matin de trois énormes cartons que j'ai déposés à la mairie de Nérac. Vous allez être déçus : il ne s'est rien produit d'extraordinaire durant ce convoyage exceptionnel, pas même la moindre chute dans les escaliers avec ma circulaire qui se serait répandue sur toutes les marches et aurait inondé le hall d'accueil. Que du banal, par conséquent (si l'on peut considérer banal le fait de déposer 8000 feuillets où figurent ma photo et un texte assez personnel). Parmi ces trois cartons, deux d'entre eux contenaient en effet les 8000 circulaires qui seront distribuées d'ici quelques jours dans toutes les boîtes de mon canton puisque, ô miracle, ma profession de foi est jugée conforme (ou du moins elle a réussi à entrer provisoirement dans une case étriquée). Le dernier carton, contenaient 16749 bulletins de vote. 16749 morceaux de papier où figure mon nom, je n'ai même pas réalisé le truc. A l'heure qu'il est, tout cela repose en paix dans une salle de la mairie avant d'être dispersé aux quatre coins de Nérac et des environs. Bon vent...

La découverte de ces cartons a constitué un grand moment, quand je suis allé les chercher à Layrac, chez mon imprimeur. Lorsqu'on a ouvert le carton des 16749 bulletins, des images de films m'ont sauté à l'esprit. Des liasses de 500, séparées avec des feuilles de couleur par paquets de cent, disposées sur deux colonnes de quatre rangées et quatre liasses d'épaisseur. On pense aussitôt (du moins, moi) aux valises de dollars que l'on a vues des tonnes de foi dans les polars américains. Je retrouverai bientôt ces bulletins sur les tables des bureaux de vote, dans les isoloirs (dans l'urne également, Roland), mais aussi après dans les poubelles : j'ai déjà parlé de ce grand gaspillage - sachant que, parallèlement, pour que les documents soient remboursés, on exige heureusement  que tout cela soit imprimé sur du papier 100% recyclé, mais il faudrait être cohérent jusqu'au bout sur ces questions-là...

Puisque j'en suis au rayon chiffres, j'en profite pour tenir la promesse faite il y a quelques jours au sujet de mes "dépenses de campagne" et, en premier lieu, du coût de l'impression des "documents de propagande" que l'on m'a communiqué. Allons-y.

• Mes fameux 16749 bulletins, tout d'abord. 292.92 € hors taxes; En gros, avec les taxes, ça ramène le bulletin à 2 centimes l'exemplaire. Si j'ai bien compris mon "imprimeuse" tout à l'heure, de nombreux candidats qui avaient déjà fait imprimer leurs bulletins se sont vu refuser celui-ci à la commission de propagande parce qu'ils avaient "omis" de marquer "suppléante" dessus. Des milliers de bulletins à la poub' et on relance la machine, bingo...

• 8000 circulaires. Mon imprimeur m'a "offert" les 500 que j'ai demandées en rab, geste commercial assez sympa. 893 € HT. Près de 14 centimes la circulaire TTC. OK, le "geste commercial" peut se comprendre.

• Les affiches, enfin. 23 + 7 en supplément. 660 € HT. Là, c'est le clou du spectacle, quand même. Et pas un vieux clou rouillé en ferraille. Non, le modèle Christian Dior de la clouterie, avec tige en or massif et tête en rubis. La peau des fesses, quoi, pour être moins métaphorique. 26 € TTC chaque, gloups. Tout ça pour un papier qui, dans le meilleur des cas, sera gratté à la raclette et réduit en purée quelques jours après les élections (ben oui, Roland, tu veux quoi ? Qu'ils laissent ta trombine sur tous les panneaux de Nérac jusqu'à Noël prochain pour te faire plaisir ?)

Au total, et je vous épargne les "Hors Taxes", on arrive à une somme assez colossale de 2207.72 €. Je ne vais pas sur ce blog conter par le menu la moindre de mes dépenses, les trajets en voiture, les quelques photocop, certaines bricoles etc. mais j'imagine que je vais arriver à un "budget" d'environ 2500 €. Cela me paraît gigantesque et monstrueux, et j'ai pourtant serré la ceinture...

Finissons sur une note plus sympa. Tenir ma "circulaire" et voir mon affiche a été agréable - tant que je ne pensais pas à leur coût réel. Cela n'a pas été aussi grandiose que le jour où j'ai enfin pu toucher et feuilleter "mon livre" sur Lynch, sensation rare et précieuse, mais c'était une grande satisfaction malgré tout. La satisfaction d'avoir accompli du bon travail et d'en être fier. Aller chercher tout ce stock de documents électoraux m'a également permis de passer un bon moment à l'imprimerie et de contempler les rotatives à l'ancienne qui continuaient de fonctionner, autrement plus belles que les machines plus anonymes et sans âme actuelles. M. Mothes, "compositeur typographe" depuis 30 ans, s'est fait mon guide et m'a expliqué le fonctionnement de chacune de SES machines, avec une passion qui affleurait sans peine. Les feuilles qui défilent, le bras mécanique qui happe le papier dans un bruit de piston, les rouleaux qui impriment le document, les cylindres qui se chevauchent, les caractères de plomb, les encres, le souffle de la rotative, le rythme obsédant, entre vacarme et musique mécanique... Un moment suspendu. En dehors du temps. Et de l'argent...